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Desiderius Erasmus

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Peu de personnages ont autant résisté aux catégorisations durant les années de la Réforme protestante que Desiderius Erasmus. Il était un critique acharné des abus de l’église, un défenseur de l’humanisme et un représentant éminent de la critique biblique citée par les protestants et combattue par les catholiques, tout en restant lui-même catholique et en prenant, au fil des ans, ses distances avec la théologie protestante. Son origine elle-même était quelque peu mystérieuse. Né en 1466 ou 1467 à Gouda ou Rotterdman, il était le fils illégitime d’un prêtre et de la fille d’un médecin. En 1485, il était orphelin et ses tuteurs ont fini par le persuader de rejoindre les chanoines augustins. Il a été ordonné en 1492. Plus tard, il critiqua la pression exercée sur les candidats à l’entrée au monastère et fit valoir que les futurs moines devraient attendre l’âge de trente-six ans avant d’être acceptés. Auparavant, Érasme avait été éduqué à Deventer par les Frères de la Vie Commune, populaires pour leurs pratiques de dévotion très personnelles, telles que celles identifiées dans l’Imitation du Christ de Thomas à Kempis. Il a également reçu une formation en lettres humanistes, ce qui lui a permis d’obtenir un poste de secrétaire latin d’Hendrik van Bergen, évêque de Cambrai.

Ce n’est que lors de sa formation ultérieure à Paris et de son exposition aux humanistes en Angleterre qu’Érasme s’est engagé sur la voie de la notoriété intellectuelle. De 1495 à 1499, il étudie la théologie à l’université de Paris. En raison de ses maigres moyens économiques, le jeune étudiant était logé au Collège de Montaigu, un foyer pour étudiants pauvres. La combinaison des conditions de vie et de son exposition à la théologie scolastique lui a laissé une impression négative de la plaque tournante des universités médiévales et de l’état de la théologie du Moyen Âge tardif. Pendant son séjour à Paris, il prend d’abord le nom latin de Desiderius pour exprimer son humanisme. Il finit par quitter Paris sans diplôme et se rend en Angleterre, où il rencontre plusieurs penseurs humanistes qui exercent sur lui une influence prépondérante. Parmi eux, le futur martyr Thomas More, auteur du traité politique Utopia, et le bibliste John Colet, qui lui fait comprendre la nécessité de se lancer dans des études bibliques. C’est en Angleterre qu’il tombe pour la première fois sur les Annotationes de Lorenza Valla, un manuscrit de critique textuelle qui aidera Érasme à composer son édition critique du Nouveau Testament, publiée en 1516. Il a également rédigé la première expression de sa célèbre notion de philosophia Christi (« philosophie du Christ ») dans le manuel de vie spirituelle de 1503, Enchiridion Militis Christiani (« Manuel du soldat chrétien »). Cette idée abordait la spiritualité chrétienne comme une imitation morale de son exemplaire, le Christ.

Après avoir quitté l’Angleterre, il passe plusieurs années en Italie. Il obtient un doctorat de théologie à Turin en 1506, bien qu’il n’y ait jamais étudié. Il a également effectué un travail éditorial pour un imprimeur de Venise qui a financé sa propre érudition. Après l’accession au trône d’Angleterre d’Henry VIII, un savant précoce, Érasme y retourne dans l’espoir d’obtenir un poste à la cour. Au lieu de cela, il accepte un poste de conférencier à Cambridge et, tout en séjournant chez Thomas More, il rédige son influent Moriae Encomium (« Éloge de la folie »). Il y approfondit sa notion de philosophia Christi, mais en l’utilisant spécifiquement pour critiquer les abus perçus dans l’Église afin d’inciter à la réforme. Le traité est achevé en 1511 et réédité avec d’importantes modifications en 1514. Le séjour d’Érasme en Angleterre n’a pas répondu à ses attentes d’une fourniture supérieure dans l’église ou l’État, mais surtout l’a laissé sans financement suffisant pour rester.

En 1514, Érasme a reçu un bénéfice au canonicat de Cournai, en Bourgogne, qui a occasionné son retour sur le continent et la poursuite des études. Le bénéfice fut officiellement approuvé en 1517 par une dispense du pape Léon X qui libérait Érasme à la fois de ses vœux monastiques, qui lui interdisaient de vivre en dehors d’une communauté monastique, et des restrictions sur sa prise de bénéfice, qui résultaient de sa naissance illégitime. En 1515, cependant, il avait déjà accepté un poste important en tant que conseiller du roi de Bourgogne, Charles d’Espagne, âgé de seize ans, qui allait devenir empereur en 1519 et régner sur une grande partie de l’Europe pendant les années de la Réforme protestante. Ce nouveau poste l’oblige à s’installer à Louvain, en Belgique, pour se rapprocher de la cour de Bruxelles, et lui vaut d’être nommé à la faculté de théologie de Louvain, où son étude progressive des Écritures et son attitude humaniste à l’égard de la théologie scolastique provoquent de nombreuses frictions avec les autres maîtres. Cette période est à l’origine de certains des écrits les plus influents d’Érasme. Il publie son édition critique du Nouveau Testament en 1516, qui comprend le texte grec ainsi que sa traduction latine révisée de la Vulgate de Jérôme. La même année, il écrit un traité résumant ses vues humanistes sur l’éducation, Institutio Principis Christiani (« Éducation d’un prince chrétien »), dédié au jeune prince Charles. Il les fait suivre d’une traduction en latin, en 1518, de la grammaire grecque de Théodore Gaza, fournissant ainsi un manuel d’introduction au grec à de nombreux étudiants humanistes. Son écrit le plus diffusé de cette période, les Colloquia ( » Dialogues « ), est un dialogue de style humaniste couvrant de nombreux sujets controversés mis sous presse en 1519.

Erasme reste à Louvain jusqu’en 1521. À cette époque, la controverse sur les indulgences déclenchée par Martin Luther avait enflé pour devenir une réforme en profondeur en Allemagne et un facteur de division politique dans la politique des cours européennes. Les premiers réformateurs protestants font appel à Érasme à la fois comme autorité et pour soutenir leur cause, ce qui conduit même à une rencontre entre lui et Frédéric le Sage, électeur de Saxe et protecteur de Luther. Le Néerlandais se distingue rapidement des réformateurs et, afin de conserver son indépendance, s’installe dans la ville suisse indépendante de Bâle, où il vit dans une maison fournie par un riche imprimeur. Il y est resté jusqu’en 1529. Son influence sur la Réforme protestante se poursuit, principalement sous la forme d’un cercle d’humanistes réunis autour de lui à Bâle, dont font partie les futurs réformateurs calvinistes Johannes Oecolampadius et Wolfgang Capito. Malgré ses tentatives pour prendre ses distances avec les protestants, ses écrits font l’objet de controverses. La faculté de théologie de Paris a lancé une enquête sur ses œuvres en 1523 et l’a conclue en 1531 par une condamnation de leur contenu. Une conférence spéciale de l’Inquisition espagnole est également consacrée à ses œuvres en 1527, mais les humanistes du tribunal s’abstiennent de tout jugement. Érasme continuera à publier à Bâle, le plus célèbre étant son traité sur l’éducation chrétienne de 1529, De Pueris Instituendis (« Concernant l’instruction d’un enfant »), qui reflète à nouveau ses valeurs humanistes dans le domaine de l’éducation.

Le célèbre débat sur le testament entre Érasme et Luther a également été imprimé pendant les années bâloises. C’est Érasme qui lance la première salve en 1524 avec son De Libero Arbitrio (« Concernant la libre volonté »), dans lequel il tente de se distinguer de Luther en soulignant son propre caractère augustinien face aux hyperboles du théologien de Wittenberg. Luther lui répond en 1525 par son très polémique De Servo Arbitrio (« Concernant la volonté liée »), une réfutation cinglante qui expose les tendances pélagiennes de la doctrine d’Érasme sur la nature et la grâce. Érasme réplique par un ouvrage publié en deux parties. L’Hyperaspistes de 1526, rédigé à la hâte après avoir reçu le bromure de Luther, traite principalement de la préface du De Servo Arbitrio et de la question de l’interprétation biblique. La deuxième partie, Hyperaspistes II, mise sous presse l’année suivante, aborde la question du libre arbitre et tente de modifier les opinions déterministes et prédestinariennes les plus extrêmes d’Augustin. À cette époque, Luther s’est éloigné de la controverse et la réponse d’Érasme n’a guère retenu l’attention.

La neutralité de Bâle face à la division religieuse change en 1529, lorsque la ville devient protestante. Tout au long de son séjour à Bâle, Érasme avait refusé de nombreuses offres dans d’autres villes, dont Vienne, Ingolstadt, Zurich et l’Espagne, afin de conserver son indépendance vis-à-vis de la controverse sur la Réforme. Après Bâle, il n’eut guère d’autre choix que d’immigrer à Fribourg, ville catholique, sous la protection de Ferdinand, alors archiduc d’Autriche, puis empereur, dont le frère aîné, Charles, avait été le protecteur d’Érasme en Bourgogne. Le reste de sa vie se déroule sans incident, avant qu’il ne meure en 1536 à Bâle, sur le chemin du retour vers les Pays-Bas. Ses écrits controversés sont restés contestés au cours de la Contre-Réforme ultérieure. Certains ont été placés sur l’Index des écrits interdits de 1555 et beaucoup d’autres ont été jugés répréhensibles pour certains arguments. Sa popularité est cependant restée parmi les protestants et, plus tard, les catholiques réformateurs au XVIIe siècle, ce qui a conduit à la publication de ses œuvres rassemblées entre 1703 et 1706 en dix volumes.

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