Salto de línea Une récente découverte de Beatriz Canellas, Chef du département de la description aux Archives de la Couronne d’Aragon, a permis de retrouver une lettre inconnue de Jacques de Molay, Grand Maître de l’Ordre des Templiers, adressée à Ramon de Bell-lloc, Commandeur de l’Ordre, datée du 21 janvier 1296. Dernier Grand Maître des Pauvres Soldats du Christ et des miliciens du Temple de Salomon, Jacques de Molay mourut sur le bûcher de l’Île aux Juifs ou Île des Templiers en mars 1314 lors des poursuites soutenues par le pape Clément V et le roi de France Philippe IV le Bel, contre son Ordre. L’Ordre du Temple de Salomon (communément appelé les Templiers) a été fondé au concile de Troyes en 1129, et son but était d’accompagner et de protéger les pèlerins à Jérusalem, dans le cadre des croisades. Ayant perdu Acre (Saint-Jean d’Acre) en 1929, elle est engagée dans une lutte de pouvoir entre la papauté et la couronne française, lutte qui leur sera fatale, car le 13 mars 1312, le pape, qui a l’autorité suprême sur l’Ordre, signe un décret de dissolution pour délit d’hérésie. Après s’être étendu à travers la France, le Royaume latin de Jérusalem, le Royaume d’Aragon, le Royaume de Castille-Leon, le Portugal, l’Angleterre, l’Écosse et les royaumes germaniques, l’Ordre fut liquidé et ses terres et propriétés confisquées.
Salto de línea La lettre que nous présentons aujourd’hui faisait partie des préparatifs du passage du nouveau Grand Maître des Templiers à Chypre, dans le cadre de la stratégie visant à tenter de reconquérir le Royaume de Jérusalem après le désastre d’Acre. Ce Grand Maître avait assumé ce rôle quelque temps entre 1292 et 1293, après la mort du Grand Maître Thibaud Gaudin le 16 avril 1292.
Salto de línea La lettre
Salto de línea Le document a été inséré dans les procédures judiciaires de la chancellerie royale (ACA, Cancillería, Procesos en folio, leg. 2, n° 4) et se rapporte à la procédure engagée devant la Curia Regis pour résoudre le conflit territorial entre les Templiers de Miravet et Berenguer de Entenza entre 1288 et 1293. Le document, en papier (105×305 mm.), était à l’origine une feuille volante qui est aujourd’hui collée dans le dernier cahier. Il est en assez bon état ; il possède encore les cinq plis et quarante pour cent du sceau de cire noire qui fermait et validait le document, qui a été brisé précisément au moment où le destinataire l’a ouvert. Les restes du sceau, qui mesurait à l’origine environ 30 mm, nous permettent d’identifier le mot « MILITV » au bas de la légende (« MILITV »), ainsi que les sabots et le ventre d’un cheval et une croix grecque dans le champ. La lettre, qui est un original, n’est cependant pas écrite à la main par le Grand Maître lui-même. Elle a probablement été rédigée par un secrétaire travaillant pour Molay, un Français à en croire l’écriture, similaire à celle de nombreux autres parchemins originaires de France, conservés à l’ACA.
Salto de línea Le livret dans lequel elle est insérée contient des copies de lettres datées entre 1288 et 1294. Il est précédé du compte rendu de plusieurs sauf-conduits signés par Jacques II aux délégués au chapitre général de l’ordre à Montpellier le 9 août 1293. Le document qui précède la lettre est l’ordre donné à ses fonctionnaires de ne pas entraver le passage de Jacques de Molay sur ses territoires, daté du 24 août 1293 à Tarazona (enregistré dans l’ACA, Cancillería, Registros, n° 98, Folio 275v) coïncidant probablement avec le voyage que le Grand Maître avait prévu pour rencontrer le roi d’Aragon afin de discuter du conflit relatif à la cession de Tortosa. Un autre sauf-passage pour Molay daté du 3 juillet 1294 est conservé à l’ACA (ACA, Cancillería, Registros, n° 99, Folio 264r).
Salto de línea Du n°. 18 du volume III de ses Acta Aragonensia, le grand historien allemand Heinrich Finke (1855-1938) fait référence à une lettre du Grand Maître à Pere de Sant Just, commandeur de Granyena, écrite à Roma et datée du 21 janvier (avec une certaine incertitude, Finke estime l’année à 1295 alors que l’historien français Alain Demurger situe le passage de Molay à Chypre, objet de la lettre, un an plus tard, en 1296). Le texte de cette lettre est presque identique à celui de la lettre récemment retrouvée et discutée ici. Il y fait part de son intention de se rendre à Chypre, comme convenu avec le pape, en fixant la date de son voyage au 24 juin, jour de la fête de Saint-Jean-Baptiste. Avant cela, il veut convoquer une assemblée du chapitre à Arles (consulté le 7 novembre 2014), bien que le nom réel du lieu, étant donné le moment de la publication, n’ait pas convaincu Finke. L’assemblée a bien lieu le 15 août 1296, de sorte que son passage en Orient est retardé jusqu’à l’automne.
Signification historique
Salto de línea Nous n’avons pu identifier aucun auteur ayant cité cette lettre envoyée à Bell-lloc, qui correspond en tout point à celle envoyée le 21 janvier 1296 à Pere de Sant Just, publiée par Finke et datée par Demurger. Le Pere de Sant Just, dit ce dernier, était un ami de Molay. Mais, qu’est-il arrivé à Bell-lloc ? Sant Just était le commandant de Grañena au moment où la lettre a été envoyée (l’historien britannique Alan Forey ne donne aucun commandant pour Grañena d’août 1294 à juillet 1297 et il place Sant Just comme commandant à un moment donné entre 1301 et 1307). Bell-lloc était commandant d’Ascó en avril 1296. Il n’est peut-être pas déraisonnable de supposer que d’autres lettres existent probablement, adressées à d’autres commandants et écrites dans l’intention de les informer de son passage en Orient et de leur demander de l’aide dans les zones qu’ils contrôlaient. Si tel est le cas, l’importance de la lettre conservée à l’ACA réside dans son caractère unique et, en même temps, elle est aussi la confirmation que Jacques de Molay a commencé à préparer son passage en Orient dans l’intention de reconquérir les Lieux Saints, en demandant l’aide des terres sous contrôle occidental. Au cours de sa tournée européenne de 1293 à 1296, il avait obtenu de différents monarques, dont Jacques II d’Aragon, le droit pour les terres templières de leurs royaumes d’envoyer librement de la nourriture, des armes, des chevaux et de l’argent en Orient. Et c’est précisément ce qui était demandé à Ramon de Bell-lloc dans la lettre que nous présentons ici : un tiers des sommes que les terres templières versaient aux efforts de guerre de l’Ordre.
Salto de línea Cette lettre s’ajoute au petit nombre de lettres de Jacques de Molay, une vingtaine réparties dans diverses archives européennes (vingt à l’ACA, trois aux Archives du Vatican, deux au Public Records Office de Londres et une aux Archives historiques nationales de Madrid). Jusqu’à présent, l’ACA détenait dix-neuf manuscrits et un encart, ce qui en fait vingt avec cette nouvelle trouvaille.