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LE CERVEAU DE HAUT EN BAS

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Est-ce que les états de conscience peuvent être cartographiés dans le cerveau ?

Certains modèles neurobiologiques de la conscience, comme la théorie de l’espace de travail global, supposent que le contenu de la conscience est largement distribué dans le cerveau. Cette hypothèse a été confirmée par de nombreuses expériences d’imagerie cérébrale, en particulier celles de Stanislas Dehaene et de ses collaborateurs. Dans ces expériences, lorsque la durée de projection d’un mot sur un écran était prolongée juste au-delà du seuil requis pour que les sujets le perçoivent consciemment, on observait une augmentation importante de l’activité dans leurs cortex frontal, préfrontal, cingulaire antérieur et pariétal.

Il semblerait donc que les entrées sensorielles conscientes produisent une activité cérébrale bien plus importante que les stimuli inconscients comparables, et qu’une activation soudaine des lobes frontaux et pariétaux soit la signature typique d’une perception consciente.

Mais cette conscience perceptive, ou comme certains l’appellent, la conscience primaire, n’est pas la seule forme de conscience. Lorsque nous essayons d’associer la conscience à des structures particulières du cerveau, nous devons donc définir clairement de quel niveau de conscience nous parlons. Par exemple, la première condition nécessaire pour que le cerveau puisse traiter consciemment les stimuli sensoriels externes est qu’il soit dans un état de vigilance approprié (par exemple, éveillé plutôt qu’endormi).

En partant de ce postulat, des auteurs comme Damasio distinguent une forme très primitive de conscience qu’il appelle le proto-self et qui s’apparente davantage à une perception momentanée de l’état émotionnel interne du corps. Cet état est associé à l’activité de structures cérébrales telles que la formation réticulaire, l’hypothalamus et le cortex somatosensoriel.

La formation réticulaire est également associée à la conscience au sens minimal de l’éveil. D’autres structures impliquées dans le simple maintien de l’éveil comprennent le pons, les noyaux du raphé et le locus coeruleus.

Il faut noter ici que l’activité de la formation réticulaire, comme celle des aires sensorielles primaires, semble être nécessaire mais pas suffisante pour un niveau de conscience plus élaboré. Ce dernier niveau est atteint avec ce que plusieurs auteurs appellent la conscience primaire, c’est-à-dire un état de veille dans lequel nous sommes en relation avec notre environnement « ici et maintenant ». Sur la base des recherches effectuées par le neuroscientifique suédois Bjorn Merker, il semble que le tronc cérébral joue un rôle plus important dans la conscience primaire qu’on ne le pensait auparavant.

Damasio appelle ce type de conscience « core consciousness » et affirme qu’il dépend principalement du cortex cingulaire et des noyaux intralaminaires du thalamus. En effet, des expériences ont montré que la destruction bilatérale de la partie centromédiane des noyaux intralaminaires du thalamus élimine également la conscience, produit un coma ou provoque d’autres états similaires à la mort cérébrale. En outre, cette région du thalamus est l’un des principaux sites sur lesquels agissent les anesthésiques et les antipsychotiques.

Les modèles de la conscience qui attribuent un rôle au thalamus ne sont pas récents. Dès 1984, Francis Crick a proposé l’une des premières hypothèses sur la conscience, l' »hypothèse du projecteur thalamique », selon laquelle le thalamus contrôlait la région du cortex qui devenait le point focal de la conscience. Une idée similaire mais plus sophistiquée a récemment été proposée par Rodolfo Llinas. Il suppose que les oscillations de certains neurones du thalamus servent en quelque sorte de rythme de base avec lequel les oscillations corticales des différentes modalités sensorielles se synchronisent pour former une image unifiée de l’environnement, un peu comme un chef d’orchestre qui donne le rythme que tous les musiciens doivent suivre (voir encadré). Il s’agit là d’une solution originale au problème de la liaison.

Lien : Thalamus Lien : Thalamus humain

Le thalamus est souvent comparé à une gare de triage, car les signaux de tous les sens (sauf l’odorat) doivent le traverser avant de pouvoir atteindre le cortex. Le cortex envoie également de nombreuses connexions en retour vers le thalamus. La plupart des noyaux du thalamus sont considérés comme « spécifiques » car leurs neurones établissent des connexions avec des zones relativement circonscrites du cortex (par exemple, les neurones du noyau géniculé latéral se projettent vers le cortex visuel primaire).

Le thalamus possède également de nombreux noyaux « non spécifiques » qui envoient des projections diffuses vers de larges zones du cortex. Les noyaux intralaminaires, situés dans la lamina médullaire interne, sont un bon exemple de noyaux thalamiques non spécifiques.

Pour compléter ce tour d’horizon du thalamus, notons qu’un seul de ses noyaux, le noyau réticulaire, qui entoure la partie latérale du thalamus, n’envoie aucune projection directement vers le cortex. Il joue cependant un rôle dans les boucles de rétroaction thalamocorticales, en recevant des entrées du cortex et en envoyant des sorties au noyau dorsal du thalamus.

Ces boucles thalamocorticales en sont venues à jouer un rôle important dans pratiquement toutes les théories neurobiologiques qui tentent d’expliquer les états supérieurs de conscience, pour lesquels les niveaux inférieurs de conscience dont nous avons discuté jusqu’à présent ne sont en quelque sorte que les prérequis. Ces niveaux supérieurs de la conscience humaine sont connus sous le nom de conscience réflexe et de conscience de soi.

La conscience réflexive – ce sentiment que  » c’est moi qui perçois  » – est souvent présentée comme une condition nécessaire à la conscience de soi : le sentiment d’être soi-même et non quelqu’un d’autre. Cette dimension autobiographique de la conscience implique que nous puissions former des représentations mentales d’expériences conscientes dans le passé ou dans le futur, et nécessite donc le soutien de la mémoire et des fonctions supérieures qui rendent possibles la conceptualisation abstraite et la planification.

On pourrait donc s’attendre à ce que les zones du cerveau connues pour être impliquées dans ces fonctions, notamment dans les lobes frontal et pariétal, soient activement engagées dans la conscience de soi. Et c’est effectivement ce qui s’est avéré dans certaines études qui ont abordé cette question spécifique.

Ces niveaux supérieurs de conscience semblent également impliquer d’autres structures cérébrales dont les rôles ont longtemps été mal compris, en partie parce que certaines d’entre elles sont situées profondément dans le cerveau, ce qui les rendait difficiles d’accès. Les techniques modernes d’imagerie cérébrale ont désormais permis de surmonter ce problème.

Trois de ces structures – le gyrus angulaire, le précuneus et le cortex cingulaire antérieur, qui sont souvent très actifs dans un état de conscience de repos – pourraient faire partie d’un réseau fonctionnel qui rend possible la conscience de soi.

Le cas du précunéus, qui est la partie postéro-médiale du lobe pariétal, est particulièrement révélateur. L’état de repos conscient est un état dans lequel les yeux du sujet sont généralement fermés et l’EEG du sujet montre un rythme alpha, ou dans lequel le sujet regarde passivement une cible simple comme le signe « + ». Parmi toutes les zones du cerveau qui sont actives pendant cet état, le précuneus est celle qui présente le taux d’activité neuronale le plus élevé. Mais à l’inverse, le précuneus est connu pour être moins actif lors de tâches qui ne font pas référence au soi. Certains auteurs ont donc proposé que l’activation du précunéus, et du cortex cingulaire postérieur, qui lui est étroitement lié, soit corrélée au sentiment de soi et au sentiment d’être un « agent ».


Après Wheatley et al, 2007.

Cette hypothèse est également cohérente avec les études qui ont montré une diminution de l’activité du cortex pariétal postéro-médian dans de nombreux états de conscience altérée, comme le sommeil, l’anesthésie ou l’état végétatif. D’autres études ont également montré une diminution de l’activité dans le précuneus et le cortex cingulaire postérieur lorsque le sujet est sous hypnose, un autre état de conscience altérée.

Enfin, le précunéus semble également jouer un rôle dans l’imagerie visuelle/spatiale. Par exemple, certaines expériences ont montré que le précunéus est plus actif lorsque les sujets sont engagés dans l’imagerie motrice d’un mouvement de doigt que lorsqu’ils effectuent réellement ce mouvement. Cela semble à nouveau indiquer que les gens ont une propension à représenter leur propre corps dans l’espace.

L’insula (également connue sous le nom de cortex insulaire) est une autre région du cerveau qui est restée longtemps peu comprise en raison de sa position profonde dans les plis du cortex. De plus, comme elle n’était pas associée aux fonctions cérébrales « supérieures », elle présentait moins d’intérêt pour les scientifiques qui étudiaient la conscience.

Mais cette indifférence a fait place à un intérêt intense après qu’Antonio Damasio ait mené des recherches sur l’insula et proposé que la majeure partie de cette structure soit constituée de marqueurs somatiques. Damasio a émis l’hypothèse que cette partie du cortex cartographie les états corporels associés à nos expériences émotionnelles, donnant ainsi naissance à des sentiments conscients. Cette hypothèse s’inscrit dans l’école de pensée dite de la cognition incarnée, selon laquelle la pensée rationnelle consciente ne peut être séparée des émotions et de leur incarnation dans le reste du corps.

Après Wheatley et al., 2007.

L’insula semble donc fournir un contexte émotionnel adapté à une expérience sensorielle donnée. L’insula est également bien placée pour intégrer des informations sur l’état du corps et pour mettre ces informations à la disposition des processus cognitifs et émotionnels d’ordre supérieur. Par exemple, l’insula reçoit des entrées sensorielles homéostatiques via le thalamus et envoie des sorties vers plusieurs structures associées au système limbique, comme l’amygdale, le striatum ventral et le cortex orbitofrontal.

Il a également été démontré de manière convaincante que l’insula est associée aux processus de la douleur, ainsi qu’à plusieurs émotions fondamentales comme la colère, la peur, le dégoût, la joie et la tristesse. Sa partie la plus antérieure est considérée comme faisant partie du système limbique. L’insula semble également être profondément impliquée dans les désirs conscients, comme la recherche active de nourriture ou de drogues. Ce qui est commun à tous ces états, c’est qu’ils affectent profondément le corps entier – ce qui tend à renforcer les arguments en faveur du rôle probable de l’insula dans la façon dont nous nous représentons notre corps et dans l’aspect subjectif de l’expérience émotionnelle.

Enfin, l’insula chez l’homme, et dans une moindre mesure chez les grands singes, semble intégrer deux innovations évolutives qui confèrent à ces espèces une plus grande capacité à lire l’état de leur propre corps que n’importe quel autre mammifère.

Premièrement, la partie antérieure de l’insula, et plus particulièrement celle de l’insula dans l’hémisphère droit, est plus développée chez l’homme et les grands singes que chez les autres espèces animales. Ce plus grand développement pourrait permettre un décodage plus précis des états corporels – la capacité qui traduit une mauvaise odeur, par exemple, en un sentiment de dégoût, ou le toucher d’un amant en un sentiment de plaisir.

L’autre modification évolutive majeure de l’insula est un type de neurones que l’on ne trouve que chez les grands singes et chez l’homme. Ces grandes cellules nerveuses allongées, en forme de cigare, sont connues sous le nom de neurones de von Economo (VEN). Les VEN sont présents uniquement dans l’insula et dans le cortex cingulaire antérieur. Ces neurones se connectent à diverses parties du cerveau, ce qui serait un attribut essentiel pour les fonctions supérieures attribuées à ces deux structures cérébrales.

Il est maintenant temps de dire quelques mots sur le cortex cingulaire antérieur, qui agit également comme une interface importante entre l’émotion et la cognition, et plus précisément dans la conversion des sentiments en intentions et en actions. Cette structure est impliquée dans des fonctions supérieures telles que le contrôle de ses propres émotions, la concentration sur la résolution de problèmes, la reconnaissance de ses propres erreurs et les réponses adaptatives à des conditions changeantes. Toutes ces fonctions sont étroitement liées à nos émotions.

Après Wheatley et al, 2007.

Lorsque des sujets expérimentaux sont piqués avec une aiguille, l’activité de leur cortex cingulaire augmente ; cette réponse est si nette que les neurones en question sont souvent appelés les  » neurones de la douleur « . Une anecdote fascinante : en 1999, William Hutchison et ses collègues de l’Université de Toronto ont montré que ces mêmes neurones du cortex cingulaire s’activent également lorsque le sujet voit quelqu’un d’autre se faire piquer avec une aiguille. Ainsi, pour ce type de neurones, appelés neurones miroirs, il n’y a pas de frontière entre le soi et l’autre.

Les primates, dont les humains, sont des créatures hautement sociales. Connaître les intentions des autres individus a toujours été crucial pour notre survie. C’est pourquoi nous sommes passés maîtres dans l’art de simuler intérieurement l’esprit d’autrui, peut-être avec l’aide de tels neurones miroirs.

Certains neuroscientifiques, comme V.S. Ramachandran, suggèrent même que cette capacité à décoder les états d’esprit d’autres individus pourrait avoir évolué en premier, puis avoir été appliquée au soi, pour devenir ce que nous appelons la conscience de soi. Et selon Ramachandran, non seulement les neurones miroirs, mais toutes les parties du cerveau qui contribuent au langage, comme l’aire de Wernicke dans le lobe temporal, doivent inévitablement jouer un rôle dans ce processus.

Ce rôle important est attribué au langage dans plusieurs modèles de conscience supérieure, notamment celui proposé par Michael Gazzaniga, connu pour son travail avec des patients au « cerveau dédoublé ». Mais si le modèle de Gazzaniga identifie l’hémisphère du langage comme le lieu de cet « interprète » qui nous rend conscients de nous-mêmes, d’autres auteurs, comme Edelman, soutiennent que la conscience ne peut être attribuée à aucune structure spécifique du cerveau.

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