Du tabagisme
Le tabagisme pendant la grossesse reste un problème critique de santé publique. Près de la moitié des femmes qui fument continuent de le faire même pendant leur grossesse, malgré l’intention de certaines d’entre elles de s’abstenir de le faire. Bien que le public américain connaisse les effets néfastes du tabagisme maternel pendant la grossesse, plus d’un demi-million de nourrissons par an aux États-Unis sont exposés au tabagisme maternel avant la naissance (Wakschlag et al., 2002). Cette situation est encore plus préoccupante si l’on considère l’échec des campagnes de santé publique pour le sevrage tabagique des 10,2 % de femmes qui, aux États-Unis, continuent de fumer pendant leur grossesse. Les résultats négatifs, qui comprennent l’insuffisance pondérale à la naissance, l’accouchement prématuré, l’avortement spontané et la mortalité infantile, ont été le principal objectif de ces campagnes (Weaver et al., 2007). En comparaison, relativement peu d’attention a été accordée, du point de vue de la santé publique, à la relation entre le tabagisme prénatal et le développement de l’agressivité et de la violence chez la progéniture.
Le tabagisme prénatal prédit la probabilité pour les enfants de manifester une forte agressivité dès l’âge d’un an et demi et tout au long de l’âge adulte (Huijbregts et al., 2008). Plusieurs comportements d’extériorisation, y compris l’impulsivité, l’absentéisme scolaire, l’hyperactivité, les difficultés d’attention et la délinquance, se sont tous avérés être associés au tabagisme prénatal maternel par l’exposition du fœtus dans l’utérus.
Les mécanismes neurobiologiques potentiels par lesquels l’exposition prénatale à la nicotine peut augmenter le risque de comportements agressifs de la progéniture comprennent l’axe HPA et le SNC (Brennan et al., 1997). Des preuves substantielles suggèrent que la nicotine traverse la barrière placentaire et provoque une neurotoxicité chez le fœtus. La neurotoxicité se produit par le biais d’effets hypoxiques sur l’unité foeto-placentaire (p. ex., réduction du débit sanguin du foetus) et d’effets tératologiques sur le cerveau du foetus en développement. Deux études récentes menées chez l’homme vont dans ce sens, en notant des associations entre le tabagisme maternel prénatal et la diminution du volume du lobe frontal chez les nourrissons (Ekblad et al., 2010), et un amincissement du cortex cérébral chez les adolescents (Toro et al., 2008). Dans l’axe HPA, la nicotine produit une réponse accrue de l’ACTH au stress chez les rats adultes (Poland et al., 1994). D’autres études ont montré que des niveaux élevés d’ACTH augmentent les comportements agressifs et défensifs chez les rats et les primates non humains, ce qui suggère que cette hormone pourrait être liée au développement de l’agressivité (Higley et al., 1992 ; Veenema et al., 2007). Cependant, des niveaux plus faibles d’ACTH ont également été trouvés au sein des populations humaines criminelles et antisociales par rapport aux témoins, ces résultats sont donc mitigés et doivent être interprétés avec prudence (Coccaro et Siever, 2002 ; Virkkunen et al., 1994).
Les récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine (nAChRs) sont responsables de la régulation de nombreuses phases vitales de la maturation du cerveau. Ces récepteurs sont présents dans le cerveau au début de la gestation et se développent tout au long des périodes prénatale, postnatale et de l’adolescence, ce qui suggère que la signalisation nicotinique joue un rôle crucial dans le développement neuronal. Au cours de ces périodes de développement, les NAChR sont particulièrement sensibles aux stimuli environnementaux et, en tant que récepteurs spécifiques sensibles à la nicotine, sont particulièrement vulnérables à la nicotine exogène. La nicotine affecte le développement fœtal principalement par son effet sur les sites de liaison nicotinique dans le cortex cérébral. Plus précisément, on a constaté que la nicotine altère le néocortex, l’hippocampe et le cervelet au cours de la période postnatale précoce chez le rat (l’équivalent du troisième trimestre chez l’homme ; Dwyer et al., 2009). Des données suggèrent que les anomalies prénatales induites par la nicotine dans ces régions particulières du cerveau peuvent augmenter la probabilité de troubles à médiation dopaminergique comme le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité et la toxicomanie. Les schémas de tabagisme maternel continu (c’est-à-dire la tendance à fumer d’une manière qui maintient les niveaux de nicotine plasmatique à un état stable) ont des effets plus négatifs que les schémas de consommation plus périodiques, qui permettent au SNC de récupérer entre les épisodes. La stimulation des récepteurs nicotiniques interagit avec les gènes qui influencent la différenciation des cellules, provoquant des changements permanents dans le fonctionnement cellulaire. Il a été suggéré que ces processus perturbent la maturation du cerveau du fœtus et produisent des effets néfastes sur le développement du fœtus qui peuvent se manifester ultérieurement par de l’agressivité ou de la violence (Wakschlag et al., 2002).
Des modèles animaux démontrent bon nombre des effets biologiques du tabagisme prénatal sur le comportement néonatal. Les rats exposés à la nicotine en période prénatale présentent des déficits d’apprentissage et de mémoire, ainsi que de comportement social. Benowitz (1998) a constaté que l’infusion de nicotine chez les rats provoque une interférence avec la réplication des cellules neurales et une activité synaptique anormale. Celles-ci, à leur tour, produisent des anomalies neuroendocriniennes et comportementales qui pourraient potentiellement conduire à l’agression. Des modèles de rongeurs ont également montré des effets indésirables similaires liés à la fumée secondaire, ainsi qu’à l’utilisation par la mère d’une thérapie de remplacement de la nicotine (TRN), une pharmacothérapie de sevrage tabagique considérée comme moins nocive que le fait de fumer des cigarettes pendant la grossesse (Dwyer et al., 2009). Les constatations d’effets indésirables liés à l’utilisation par la mère d’un TSN sont particulièrement inquiétantes, car (1) le TSN ne semble pas augmenter la probabilité de réussite du sevrage tabagique pendant la grossesse et (2) le TSN a été recommandé par un certain nombre d’autorités de santé publique, y compris la Food and Drug Administration (Bruin et al., 2010). Il a été démontré que les TSN (ainsi que la thérapie cognitivo-comportementale (TCC)) sont efficaces chez les fumeuses non enceintes, de sorte que la prévention plutôt que le sevrage tabagique pendant la grossesse devrait être l’objectif pour réduire les résultats indésirables attribués à l’exposition prénatale à la nicotine. De plus, les interventionnistes doivent garder à l’esprit que toute exposition prénatale à la nicotine, même par des modes de transmission non liés au tabagisme, peut être préjudiciable au développement du fœtus.
Comme pour la plupart des toxines, les effets de l’exposition prénatale au tabagisme sont dose-dépendants et donc les plus forts chez la progéniture des mères qui fument beaucoup (≥ 10 cigarettes/jour). De plus, les effets du tabagisme prénatal sont exacerbés lorsqu’ils s’accompagnent d’un faible statut socio-économique, d’une mauvaise éducation parentale, d’un dysfonctionnement familial, de l’absence du père et d’antécédents parentaux de comportement antisocial. Cependant, la relation existe toujours même lorsque ces variables sont contrôlées (Huijbregts et al., 2008). Des données suggèrent que le sexe pourrait modérer la relation entre le tabagisme prénatal de la mère et les comportements d’extériorisation, dans la mesure où la relation est plus forte chez la progéniture masculine pour prédire les MC et plus forte chez la progéniture féminine pour prédire l’abus de substances (Brennan et al., 2002).