Le prince héritier Rodolphe d’Autriche (21 août 1858 – 30 janvier 1889) était le fils et l’héritier de l’empereur François-Joseph d’Autriche et d’Elisabeth d’Autriche. Sa mort, apparemment par suicide, ainsi que celle de sa maîtresse, la baronne Mary Vetsera, dans son pavillon de chasse de Mayerling en 1889, a fait la une des journaux internationaux, a alimenté les rumeurs de conspiration internationale et pourrait finalement avoir scellé le sort à long terme de la monarchie des Habsbourg.
Le « pacte de suicide » de Mayerling
Contrairement à son père profondément conservateur, le prince héritier Rudolf avait des opinions nettement libérales, plus proches de celles de sa mère. Néanmoins, ses relations avec elle sont tendues et peu chaleureuses. Le 10 mai 1881, il épouse la princesse Stéphanie de Belgique, une fille du roi Léopold II, dans l’église des Augustins à Vienne, avec toute la pompe et le faste d’un mariage d’État. Rudolf semble être sincèrement amoureux, mais sa mère considère sa nouvelle belle-fille comme un « lourdaud maladroit ». Au moment de la naissance de leur unique enfant, l’archiduchesse Elizabeth, le 2 septembre 1883, le couple s’est éloigné et il trouve du réconfort dans la boisson et la compagnie féminine.
En 1887, Rudolf achète Mayerling et l’adapte en pavillon de chasse. À l’automne 1888, le prince héritier de 30 ans rencontre la baronne Marie Vetsera, âgée de 17 ans, connue sous le nom anglophile plus à la mode de Mary. Dès le début, Mary l’adore et est prête à tout faire pour lui. Ce n’était presque certainement pas la grande romance de sa vie, mais Rudolf avait des sentiments pour elle, et était touché par son amour sans limite, presque fanatique, pour lui.
Selon les rapports officiels, leur mort était le résultat de la demande de François-Joseph que le couple mette fin à la relation : le prince héritier, dans le cadre d’un pacte de suicide, a tiré une balle dans la tête de sa maîtresse, puis lui-même. Rudolf est officiellement déclaré en état de « déséquilibre mental » afin de pouvoir être enterré dans la crypte impériale (Kapuzinergruft) de l’église des Capucins à Vienne. Le corps de Marie a été sorti clandestinement de Mayerling au milieu de la nuit et enterré secrètement dans le cimetière de l’abbaye de Sainte-Croix à Heiligenkreuz et l’Empereur a fait transformer Mayerling en couvent pénitentiel de carmélites.
Suicide ou assassinat ?
Plusieurs personnes ont cependant douté de la véracité du rapport. Avant sa mort en 1989, l’impératrice Zita, veuve du dernier empereur d’Autriche, Karl (r. 1916-1918), a répété l’affirmation selon laquelle le jeune couple avait été assassiné dans le cadre d’une conspiration visant à faire taire Rudolf après qu’il ait refusé de prendre part à un complot français visant à déposer son père conservateur pro-allemand et à assumer le contrôle en tant qu’empereur autrichien libéral pro-français. L’impératrice Zita n’a pas apporté de nouvelles preuves et ses affirmations, même si elles ont fait l’objet de nombreuses rumeurs, n’ont pas reçu beaucoup de crédit de son vivant.
En décembre 1992, la dépouille de la baronne Vetsera a été volée dans le cimetière de Heiligenkreuz. Lorsque la dépouille disparue a été retrouvée, la police, pour s’assurer qu’il s’agissait des bons restes, a demandé à l’Institut médical de Vienne de les examiner. Bien qu’il ait confirmé qu’il s’agissait bien de la dépouille, l’institut a noté que le crâne ne contenait aucune trace d’impact de balle, moyen supposé par lequel Vetsera avait été tuée par le prince héritier. Les preuves suggèrent plutôt qu’elle a été tuée par une série de coups violents portés à la tête. Par ailleurs, un rapport sur la dépouille du prince héritier, établi au moment de la double mort, a été mis au jour. Son corps présentait les traces d’une lutte violente importante. Un rapport de l’époque avait également noté que les six balles avaient été tirées par l’arme, dont il a été révélé qu’elle n’appartenait pas au prince héritier.
Le rapport officiel de l’État sur les décès affirmait que le prince héritier avait tiré sur Vetsera avant de se tirer dessus avec sa propre arme. Il ne faisait aucune mention des faits révélés par la suite, ce qui a conduit à la conclusion que, pour une raison quelconque, une dissimulation de la manière réelle des décès avait eu lieu. Il est peu probable que l’on sache jamais ce qui s’est réellement passé. Deux théories ont été avancées. La première veut que le couple se soit violemment battu et que le prince héritier ait assassiné sa maîtresse en la frappant avant de se suicider ; en d’autres termes, il s’agit clairement d’un meurtre et non d’un double suicide comme on le suggère. Cette théorie n’explique toutefois pas pourquoi le prince a pu tirer six fois avec son arme au moment de se tuer, ni d’où venait l’arme, puisqu’il ne s’agissait pas de la sienne. L’autre théorie est qu’une tierce personne a attaqué les deux, a battu Vetsera à mort et a tiré sur le prince héritier. Cette dernière théorie présente effectivement une certaine ressemblance avec la théorie postulée pendant quatre-vingts ans par l’impératrice Zita, qui, en tant que princesse héritière de 1914 à 1916, avait été une confidente du père de Rodolphe, l’empereur François-Joseph, et a donc pu entendre ses théories, et celles d’autres membres de la cour austro-hongroise, sur la manière dont le prince héritier Rodolphe est mort.
Cependant, il faut comprendre combien il était difficile pour l’empereur d’admettre que son fils et héritier avait tué la jeune fille et lui-même dans un état de « déséquilibre mental ». S’il avait été possible de prétendre que les deux avaient été assassinés par un tiers, cette version aurait été infiniment préférable. Il n’aurait pas été nécessaire d’accuser quelqu’un en particulier ; cela aurait évité d’admettre publiquement que le prince héritier était un tueur fou et qu’il s’était suicidé.
Impact de la mort du prince héritier
Après la mort du fils unique de l’empereur, le mariage de François-Joseph et d’Élisabeth s’est complètement effondré, l’impératrice passant beaucoup de temps à l’étranger, notamment en Angleterre et en Irlande où elle aimait chasser. Le nouvel héritier présomptif des trônes d’Autriche, de Bohême et de Hongrie est l’archiduc Charles-Louis, frère aîné survivant de l’empereur. Après la mort de Karl Ludwig, son fils aîné, l’archiduc François-Ferdinand, devient l’héritier présomptif. Son assassinat en 1914 a entraîné une chaîne d’événements qui a produit la Première Guerre mondiale.
Si Rudolf avait vécu, il est possible que l’empereur François-Joseph aurait abdiqué comme l’avait fait son oncle, transmettant les trônes à un empereur aux idées beaucoup plus libérales et opposé à l’alliance militaire de l’Autriche avec l’Allemagne de l’empereur Guillaume II qui a tant joué dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale.
Au lieu de cela, le trône est finalement revenu au petit-neveu de François-Joseph, Karl, qui est devenu en 1916 le dernier empereur autrichien sous le nom d’empereur Karl, et qui, bien qu’il ait essayé, n’a pas pu arrêter la guerre et sauver la monarchie des Habsbourg de l’effondrement final.